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Stelmi Frème
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Extrait du livre...

           Non, laissez-la vivre ! Ne me la prenez pas, je vous en supplie ! Un long cri inhumain jaillissait de sa gorge. Comme une bête blessée à mort, elle s'écroulait, laissant son sang se répandre sur le sol. C'était impossible, cela ne pouvait pas lui arriver à elle. Elle sentait la mort à l’affût, attendant son heure. Elle pouvait presque sentir son souffle sur sa nuque. Elle savait que sa survie dépendait de ce souvenir qui s'était réfugié dans sa mémoire refusant d'émerger de l'oubli. Personne pour la soutenir, pour prendre la main qu'elle tendait dans les ténèbres vers une hypothétique délivrance. Elle se sentait si démunie, si fragile, dans cette course effrénée vers la lumière qu'elle devinait au bout de ce long tunnel à la noirceur hostile. À qui étaient ces sanglots pleins de terreur ? Shona ouvrit les yeux. Son regard était noyé. Ces larmes étaient les siennes. Ce cri qui lui faisait encore mal était le sien. Cette peur incontrôlable était toujours tapie dans sa tête prompte à jaillir pour la submerger. Son corps était recouvert d'une sueur froide, le même sentiment d’insécurité subsistait. comme à chaque fois. Encore ce cauchemar récurrent qui ruinait ses nuits les unes après les autres sans lui laisser le moindre répit. Celui-là même qui la laissait anéantie, en loques. Elle restait immobile, hébétée, encore incapable de bouger. Doucement elle laissa la vie renaître en elle. La mort s'éloigna comme à regret. Shona déplia ses longues jambes. Son corps quitta la position fœtale qu'il avait prise pour se protéger. Comme le font les petits enfants, elle se frotta les yeux. Sa bouche, habituellement rieuse, tremblait encore de frayeur. Lorsque ses pieds touchèrent le sol froid de la chambre, elle sursauta. Son regard cherchait encore le visage de son cauchemar.

Où était-elle partie ? Une dernière larme roula sur sa joue. Elle l'effaça rageusement du revers de la main. Elle s'était ressaisie. Tout cela n'existait pas. Ce n'était que foutaise et imagination de reporter. La semaine avait été difficile et son enquête piétinait, n'avançant pas comme elle le souhaitait. Une bonne douche laverait ses idées noires et détendrait ses muscles tétanisés par ce songe effrayant. Dans la salle de bain, son miroir lui renvoya l'image d'une jeune femme plutôt jolie. De grands yeux verts encore mouillés de larmes, une bouche qui ne demandait qu'à sourire et deux fossettes pleines de charme. Le tout encadré par une cascade de boucles flamboyantes certainement léguées par de lointains parents vikings. Ses amis affirmaient que sa fougue et sa détermination lui venaient certainement d’aïeuls. Elle en avait hérité cette luxuriante crinière. Sa chevelure aurait sûrement inspiré Botticelli et nombre d'autres peintres de la Renaissance. Son tee-shirt laissait deviner un corps menu aux courbes tendres. Les hommes laissaient souvent un regard appréciateur le parcourir, ce dont elle se fichait éperdument. Pour elle une seule chose était importante, son boulot de reporter et son article du moment. Élue meilleure journaliste de l'année malgré son jeune âge, elle avait suscité la rancœur et le courroux de ses collègues masculins.

Simon avait été le seul à la soutenir, à partager ses moments de doute et...son lit. Leur idylle avait duré cinq ans, jour pour jour, pas un de plus. Il était le premier et le dernier de ses amants. Pas le temps ! Et puis, il y avait eu cette nuit où son destin avait basculé... À ce jour, elle était seule dans la vie, pas d'homme, pas d'enfant, une célibataire endurcie, sans attache et fière de son indépendance. Le sifflement de la cafetière la fit revenir à l'instant présent. Elle saisit une tasse qu'elle remplit de ce breuvage noir qui la sortirait définitivement de cette torpeur angoissante qui l'avait envahie. Secouant sa tignasse rebelle, elle se dirigea vers le dressing. Jeans et chemisier blanc seraient l'armure du jour. Juchée sur de hauts talons, elle se dirigea vers la sortie en prenant au passage, son sac et son appareil photo. Son travail de reporter lui avait permis d'acquérir un luxueux appartement dans un immeuble du centre-ville. Pratique pour son travail et surtout, sécurisé. Ce mot lui était venu tout naturellement. Depuis quelque temps, son cerveau semblait fonctionner en autarcie. Des mots, des images jaillissaient spontanément et s'imposaient à sa volonté propre. Le libre arbitre existait-il lorsque votre encéphale, cet autre moi, vous dictait sa propre loi ? Se trouver à deux dans le même corps, aussi splendide soit-il, n'était pas de tout repos.

La semaine dernière, alors qu'elle se dirigeait d'un pas alerte vers l'ascenseur qui la conduisait à son bureau du neuvième étage, cet esprit malin l'avait obligée à se cacher derrière l'immense plante verte qui montait la garde dans le hall. Les rares personnes présentes semblèrent amusées par la situation mais elle, rouge de confusion, s'était purement et simplement demandé si elle n'était pas devenue folle. À d'autres moments, une voix se faisait entendre, un chuchotement inaudible qui la laissait perplexe. Il fallait absolument qu'elle prenne rendez-vous avec le docteur Mervel. Il la connaissait depuis son enfance et saurait la conseiller. À moins qu'elle ne demande une consultation au plus éminent psychiatre du pays ! Pour le moment, elle avait une entrevue prévue avec le directeur du journal, son patron, à qui elle devait remettre son article. Shona appréhendait cet entretien car son reportage n'était pas achevé. L'affaire était sérieuse et dangereuse. Du temps supplémentaire lui était nécessaire pour la conclure. À son entrée, la secrétaire, quinquagénaire aux formes voluptueuses, lui offrit son plus gentil sourire.

—Entrez mademoiselle Shona, monsieur Reynald vous attend ! Je vous apporte un café et des petits gâteaux que j'ai confectionnés exprès pour vous. Cathy, comme l'appelait affectueusement le personnel de l'agence, était la bonté personnifiée. Toujours prête à rendre service et à écouter les potins qu'elle glanait au gré de ses déplacements au sein de l'entreprise. Elle trouvait Shona bien trop maigre et s'était mise en tête de la remettre sur le droit chemin alimentaire.

Dans l'antre du maître, la moquette épaisse étouffait les pas du visiteur et donnait à l'ensemble une fausse impression de sérénité. L'immense baie vitrée laissait entrer la lumière de ce jour d'avril. Les rayons de soleil inondaient la pièce. Sur l'immense bureau une montagne de dossiers, sur les étagères des livres rares et, faisant les cent pas...un homme ! La plupart des femmes se seraient pâmées devant ce spécimen d'Homo sapiens des plus virils. Race en mutation constante, tout le monde le sait, mais oh combien bien représentée en cet instant même ! Grand, athlétique, séduisant, il était doté d'une démarche féline qui donnait envie de se rouler devant ce grand chat. L'homme la dominait d'une bonne tête. Son visage anguleux semblait ne jamais devoir sourire et ses yeux bleus vous transperçaient comme des lasers. Enfin, c'était l'image qu’il lui renvoyait en cet instant précis. Imposant physiquement, il l'était aussi par son assurance et son maintien d'homme qui avait réussi. Shona ne voyait rien de tout cela, pas même le long regard admiratif qu'il posait sur sa silhouette parfaite. Sans attendre, elle lui exposa les derniers rebondissements de l'affaire Alistair Mac Claymore. Elle était sur le point de percer l'énigme de la disparition de son fils Neil, un petit garçon de six ans. L'enfant avait été enlevé sur le chemin de l'école et sa nounou retrouvée inconsciente.

Il lui fallait encore du temps. Elle avait infiltré le gang de Paul Briscard, le criminel responsable du kidnapping et savait qu'elle pouvait remonter jusqu'à l'enfant. Il était vivant, elle en était certaine. Certaine ? Une fois encore sa raison vacillait, son cerveau, cet autre elle, avait pris le pas sur son bon sens. Ras le bol ! Elle en avait marre de lui et de ses problèmes. Elle ne pouvait quand même pas se tirer une balle dans la tête pour le faire taire. Devant son air rebelle, son arrogance et sa détermination, l'homme lui accorda un délai, tout en lui signifiant qu'elle n'avait que dix jours pour clôturer son enquête. Sur cette fin de non-recevoir, Shona tourna rageusement les talons.  L'épaisse moquette eut raison de son amour propre.

Elle allait s'écrouler aux pieds de son patron et perdre le peu de dignité qui lui restait encore. Elle était épuisée par l'effort qu'elle venait de fournir dans son combat verbal et ne tenait pas à s'infliger cette autodestruction mentale.

— Vous êtes un véritable séisme à vous seule, entendit-elle avant de se retrouver emprisonnée par deux bras musclés.           

—  Lâchez-moi tout de suite, rétorqua Shona rouge de fureur et de confusion.    

 —  Ingrate et mal élevée de surcroît ; allez, fichez-moi le camp ! Terminez cette enquête au plus vite ! Mortifiée, le visage cramoisi, Shona s'échappa plus qu'elle ne marcha vers la porte. Elle ignora le sourire avenant de Cathy et passa fièrement devant son bureau en marmonnant.

 —  Je suis vraiment une catastrophe ambulante, maudits talons. Dans le hall, elle évita la grande plante verte et lui jeta un regard haineux en rêvant de décapiter ses branches. Dans la rue, les passants couraient sous une pluie fine. Elle hélait un taxi quand soudain, elle entendit distinctement une voix qui l’interpellait

 —  Aide-le, viens le chercher !

 En face d'elle, sur le trottoir un homme la fixait. Délaissant le taxi, tous ses sens en alerte, elle traversa la rue ignorant les voitures qui la frôlaient. L'une d'elle s’arrêta brusquement, son propriétaire évitant de justesse une collision catastrophique. Ses jurons n'avaient eu aucun impact sur la jeune femme qui courait sur la chaussée. Arrivée de l'autre côté de la rue, elle chercha l'homme des yeux. Il avait disparu… Sur le sol, un pétale de rose rouge et un morceau de papier. Un mot y était inscrit, abhainn. La voix continuait sa litanie et répétait de plus en plus vite :

 —  Va le chercher, vite !

Qui était le ? Et qui était cet individu ? Shona ferma les yeux, prise de vertige sous l'emprise de cette force dont elle ne pouvait combattre la volonté. Depuis son accident, elle était victime de ces moments de divagation qui la troublaient infiniment. Devenait-elle cinglée ?

 

                                                                                                                                               

                                                                                                        S F

                                                                                  

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